L’aïoli fada ! ?>

L’aïoli fada !

Dans les années 80, quand je suis venu vivre dans la Vallée des Baux-de-Provence, j’ai découvert un vendredi un plat extraordinaire : l’aïoli ! C’était au Bistrot du Paradou, un vendredi d’hiver. Depuis, je m’amuse à collectionner, plutôt compiler, toutes les informations que je trouve sur ce plat historique et vivant. Je continue d’en manger souvent. Vous devriez en faire autant. David Hairion Le Cousinié Macàri, pseudo du célèbre Frédéric Mistral,  présente l’aïoli comme la base de l’identité culinaire provençale : “L’aïoli…

Lire la suite Lire la suite

Une recette mythique de l’Aïoli !

Une recette mythique de l’Aïoli !

Incroyable cette recette, car elle organise dans le temps les multiples actions pour réussir cet immense plat qu’est l’aïoli ! On la doit à Austin de Croze, de son vrai nom Joseph Augustin de Croze-Magnan (1866-1937). Un écrivain français, folkloriste, musicien, journaliste, auteur gastronomique… qui a fait paraître cette recette en 1935 (La France à table, N°6, Mars 1935, sur La Provence), alors qu’il inventoriait le patrimoine culinaire français. Il se qualifie lui-même de provençal né à Lyon.

grand_aioli_austin_de_croze

Autour d’un bon Aïoli…

Autour d’un bon Aïoli…

087863-000-A_2666291

Frédéric Mistral (1830-1914)

« Autour d’un bon ailloli, bien monté et odorant et roux comme un fil d’or, où sont, répondez-moi, les hommes qui ne se reconnaissent point frères ? »

L’aïoli sur les tables des riches et les tables du peuple…

L’aïoli sur les tables des riches et les tables du peuple…

Ce texte est extrait d’un livre très documenté : « Tables des riches, tables du peuple », par Sandrine Krikorian (sous-titre : Gastronomies et traditions culinaires en Provence du Moyen Âge à nos jours).

« Et c’est à ce moment-là que se déroule le Carnaval, mot qui vient du latin médiéval carne levare (autrement dit lever la viande, ce qui correspond justement à la période du Carême). Carnaval est synonyme de Carême-Entrant, Caramentran comme on dit en Provence.

Le premier jour du Carême, le Mercredi des Cendres, est marqué par la consommation du célèbre aïoli dont Frédéric Mistral lui-même a donné la recette dans l’Armana prouvençau de 1874 sous le pseudonyme de Cousinié Macàri (qui veut dire le « cuisinier du diable »).

 

« Après avoir finement broyé les aulx, versez, goutte à goutte, de l’huile d’olive, en martelant avec le pilon et en tournant continuellement dans le même sens. Quand la pommade prend corps, vous pouvez y ajouter quelques gouttes d’eau tiède et surtout n’oubliez pas d’y écraser la moitié d’un citron, pour consolider la pâte. Vous continuerez ensuite à verser l’huile goutte à goutte, doucement, bien doucement, et vous agiterez le poignet toujours de la même façon, jusqu’à ce que vous ayez assez d’aïoli. Il faut environ deux cuillerées par personne. Parfois, cependant, il y a un incident :

L’aïoli peut « tomber », c’est-à-dire s’effondrer et s’affaisser dans le mortier.

Voilà comment on procède pour « relever » l’aïoli.

Versez dans un petit plat votre aïoli raté. Remettez dans le mortier quelques gousses d’ail. Pilez-les comme il convient, et mettez du cœur à l’ouvrage. Ajoutez-y, quand elles seront en poudre, un jaune d’œuf.

Remuez avec le pilon, et versez de nouveau l’aïoli raté. Il va prendre du volume, de la consistance et devenir doré comme du beurre : c’est le moment de le servir. »

(La taulo et l’oustau. Contes gourmands, textes réunis et présentés par Henri Moucadel)

 

Voici également la recette donnée par le toujours célèbre Jean-Baptiste Reboul :

« Prenez environ 2 gousses d’ail par personne, épluchez-les, déposez les dans un mortier, réduisez-les en pâte au moyen d’un pilon ; ajoutez une pincée de sel, un jaune d’œuf et versez-y l’huile à petit filet, en tournant avec le pilon. Observez de verser l’huile très lentement et, durant ce temps-là, ne jamais s’arrêter de tourner ; vous devez obtenir une pommade épaisse. Quand vous aurez versé la valeur de 3 ou 4 cuillerées d’huile, ajoutez le jus d’un citron et une cuillerée à bouche d’eau tiède, continuez à verser de l’huile petit à petit et, quand vous trouvez la pommade de nouveau trop épaisse, ajoutez derechef quelques gouttes d’eau, sans cela elle se fond pour ainsi dire, l’huile se sépare du reste.

Si malgré toutes ces précautions, cet accident vous arrivait, il faudrait sortir le tout du mortier mettre au fond de celui-ci un second jaune d’oeuf, quelques gouttes de jus de citron et, petit à petit, cuillerée par cuillerée, y ajouter l’aïoli manqué en tournant sans discontinuer avec le pilon. Vous devez alors l’avoir réussi. C’est ce qu’on appelle « relever l’aïoli » ».

L’aïoli n’est, bien évidemment, pas servi seul. Il est garni de plusieurs mets :

« Nous allons maintenant indiquer ce qu’on sert avec, continue Jean-Baptiste Reboul. Il faut généralement de la morue bouillie, des escargots – que l’on fait cuire dans l’eau, avec sel, oignons piqués de clous de girofle et fenouil – des carottes bouillies, pommes de terre en robe, artichauts cuits à l’eau, haricots verts, œufs durs, et souvent de petits poulpes bouillis avec eau salée et aromates. »

 

Ceci est confirmé par le Cousinié Macàri qui en fait son éloge et présente l’aïoli comme la base de l’identité culinaire provençale :

« L’aïoli est un délice ; il n’y a rien de meilleur pour la santé, et c’est l’élément de base d’un repas provençal. L’aïoli est l’assaisonnement du poisson bouilli, de la bourrido, de la morue et des escargots en saumure ; et à côté de lui, s’il faut tout dire, la mayonnaise des Français n’est qu’une pommade de pharmacien. »

(La taulo et l’oustau. Contes gourmands, textes réunis et présentés par Henri Moucadel)

 

Du Mercredi des Cendres, où l’on mange l’aïoli, jusqu’au Jeudi saint se déroule donc le temps du Carême, terme qui vient du latin quadragesima signifiant le « quarantième jour » (avant Pâques) et qui désigne les quarante jours qui à l’époque étaient comptés (sans les dimanches) et qui se prolongeaient jusqu’au Samedi saint (Robert Cabié, Encyclopaedia Universalis). Cette période de quarante jours est d’ailleurs importante dans la religion chrétienne puisque répétée à plusieurs reprises dans la Bible. Dans l’Ancien Testament, elle correspond au nombre de jours où Noé et sa famille sont enfermés dans leur arche à cause des eaux du déluge mais aussi aux périodes de jeûne de Moïse et du prophète Élie. Quant au Nouveau Testament, on retrouve cette période au moment où Jésus erre lui-même dans le désert. On le constate donc, d’un point de vue symbolique, l’importance de cette période de quarante jours est remarquable.

La période du Carême se termine avec la Semaine sainte, débutant par le dimanche des Rameaux, rappelant l’entrée triomphante du Christ à Jérusalem. Dans la Statistique des Bouches-du-Rhône, il est indiqué qu’il est d’usage ce jour-là « de manger des pois chiches dans toute la Provence. À Marseille, on allait le jour des Rameaux entendre la messe aux Chartreux, et sur toute la route on vendait des pois chiches cuits. »

 

Cette coutume est expliquée de façon détaillée dans le numéro 81 de la revue L’Aioli du 27 mars 1893 par Frédéric Mistral :

« Dans toute la Provence et dans une partie importante du Languedoc, hier précisément, jour des Rameaux, on a mangé beaucoup de plats de pois chiches ; car vous connaissez évidemment le dicton :

Ne sont pas vraiment chrétiennes, les familles

Où l’on ne mange pas de pois chiches pour les Rameaux.

Mais d’où vient cette coutume ? On a écrit qu’en 1418, alors que Marseille connaissait la famine, six bâtiments chargés de pois chiches furent jetés sur le port par une tempête, justement le dimanche des Rameaux. Les consuls distribuèrent la cargaison et depuis lors, en souvenir, les Provençaux mangent des pois chiches.

Mais il est difficile de croire qu’un pareil événement, propre en fin de compte à la ville de Marseille, ait marqué toute la nation provençale au point d’en conserver l’usage que nous venons de mentionner.

Il nous semble préférable de rapporter la coutume des pois chiches de Rameaux à la légende suivante :

Près de Jérusalem, on montre encore, paraît-il, une lande pierreuse appelée le Champ des Pois chiches. En voici la raison :

Notre Seigneur, le dimanche avant Pâques, passait par là, et, depuis le chemin, il vit un homme qui semait des pois chiches. Comme il avait faim, il dit à l’homme :

« Qu’êtes-vous en train de semer, brave homme ? Vous seriez bien aimable de m’en donner une poignée, car j’ai faim …

– Moi ? je sème des pierres, répondit le Juif.

Ah ! eh bien! si vous semez des pierres, répliqua le bon Jésus, vous récolterez des pierres. »

Aussitôt la terre devint stérile et le demeura. Et là, au Champ des Pois chiches, il n’y eut plus, dorénavant, que des pierres et des cailloux. »

(La taulo et l’oustau. Contes gourmands, textes réunis et présentés par Henri Moucadel) »

L’aïoli, une sauce bénie des dieux, un plat, un art de vivre

L’aïoli, une sauce bénie des dieux, un plat, un art de vivre

Deux mots, « ail » et « oli » (huile), pourraient suffire à décrire cette célèbre sauce provençale célébrée par le poète Frédéric Mistral, fondateur en 1891 d’un journal baptisé l’aïoli :

« L’aïoli concentre dans son essence la chaleur, la force, l’allégresse du soleil de Provence, mais il a aussi une vertu, celle de chasser les mouches. Ceux qui ne l’aiment pas, ceux dont l’estomac se révulse à la pensée de notre huile et de notre ail ne viendront pas tourner autour de nous…« .

L’aïoli, n’est pas seulement une sauce, mais aussi un repas complet, maigre et bouilli, un « repas du vendredi ».

Voici une recette de l’aïoli, pour quatre personnes…
• 4 oeufs durs
• 3 ou 4 beaux filets de morue salée
• 1 ou 2 pommes de terre en robe des champs par personne
• 500 g de carottes entières à éplucher

Avec en plus les escargots, c’est la configuration minimale. Et ne pas oublier le pain. On goûtera la sauce avec, « avant d’attaquer », histoire de taster pur ! Mais on peut aussi ajouter des petits choux fleurs, des courgettes dans leur peau, des poireaux, des coeurs d’artichauts poivrade…

Pour les escargots :
• 2 douzaines d’escargots
• 1 branche de thym
• Du laurier et du fenouil
• Un bout d’écorce d’orange

Pour la sauce :
• 2 belles gousses d’ail (il y a bien des débats sur la quantité d’ail, nous préconisons pour notre part peu d’ail)
• 50 cl d’huile d’olive vierge (de la Vallée des Baux-de-Provence, de chez nous)
• 1 jaune d’oeuf (ici c’est plus qu’un débat, c’est une guerre passionnelle)
• Sel et poivre

Préparation :
Commençez par préparer la morue : la faire tremper une journée entière, en changeant l’eau au moins 5 fois. Au terme de ce dessalage, la pocher dans une marmite d’eau frémissante pendant 20 bonnes minutes. Attention à ne surtout pas la faire bouillir, ça rendrait la chair élastique et caoutchouteuse.

Concernant les escargots, nettoyez-les puis faites les cuire dans une marmite remplie d’eau en veillant à ce que le niveau de l’eau dépasse de 10 à 15 cm celui des escargots, ajouter le thym, le laurier, le fenouil, un bout d’écorce d’orange, quelques grains de poivre et deux cuillères à soupe de gros sel. Faites les bouillir pendant 45 minutes (à petite ébullition) puis réserver.

La préparation des légumes est très simple, ils doivent être cuits idéalement séparément, à la vapeur.

N’oubliez pas les oeufs durs (un par personne) que l’on servira écalés.

Préparez la sauce dans un grand mortier en bois ou en marbre et avec un pilon en bois de préférence. Ecrasez les gousses d’ail crues pour les réduire en pâte lisse. Un fois l’ail prêt, il faut s’attaquer à la partie la plus délicate de la recette : on va monter l’aïoli en une sauce proche de la mayonnaise, en troquant le pilon en bois contre un fouet. Ajoutez une pincée de sel et un jaune d’oeuf dans le mortier. Versez peu à peu 50 cl d’huile d’olive en filet sans jamais cesser de tourner vigoureusement toujours dans le même sens. Faites en sorte d’obtenir une sauce bien liée, un peu comme une mayonnaise, un peu plus ferme. Si vous n’arrivez pas à faire monter la sauce, pas de panique tout n’est pas perdu, mettez un jaune d’oeuf dans un autre plat, fouettez le puis versez-y la sauce exactement comme vous le faisiez précédemment avec l’huile. Une technique consiste aussi à utiliser de l’eau (cf. note spécifique). Et si vous avez la flemme, vous pouvez aussi monter l’aïoli au batteur, les puristes trouveront la sauce moins bonne…

Auguste Escoffier et l’aïoli

Auguste Escoffier et l’aïoli

Dans “Le guide culinaire” (Flammarion, 1921), Auguste Escoffier classe l’aïoli dans les “Sauces froides”.

Il donne la définition suivante :

Sauce Aïoli, ou beurre de Provence

Broyer dans un mortier, bien finement, 4 petites gousses d’ail (30 grammes). Ajouter : un jaune d’œuf cru, une pincée de sel et 2 décilitres et demi d’huile, en laissant tomber celle-ci goute à goutte pour commencer, puis en petit filet lorsque l’on constate que la sauce commence à se lier. Ce mélange de l’huile se fait dans un mortier, et en faisant tournoyer vivement le pilon.

Pendant ce montage, rompre le corps de la sauce en y ajoutant, petit à petit, le jus d’un citron et une demi-cuillerée d’eau froide.

Nota. Dans le cas où l’aïoli viendrait à se désorganiser, on le reprendrait avec un jaune d’œuf cru, ainsi que cela se fait pour la Mayonnaise. »

Georges Auguste Escoffier, né à Villeneuve-Loubet le 28 octobre 1846, mort à Monte-Carlo le 12 février 1935, est un chef cuisinier, restaurateur et auteur culinaire français.
Ce « roi des cuisiniers » et « cuisinier des rois », Chef le plus célèbre de son temps, a définitivement imposé la connaissance de la cuisine française au niveau international, tant par celle pratiquée dans ses restaurants que par son travail d’écrivain culinaire, prolongeant ainsi et dépassant l’œuvre d’Antonin Carême et de Jules Gouffé. Cependant, en modifiant l’ordonnance des menus, la préparation des mets, en limitant leur richesse, en éliminant la farine des sauces au profit des fonds et des glaces de viande, en modifiant la structure du travail dans les brigades, il a innové et se trouve à la base de la transformation de l’art culinaire depuis 1918. Il a réussi à très largement faire partager sa conception de cet art : recherche de la perfection dans la préparation et du plaisir de l’esprit lors du repas.

« L’aiòli » est absolument exclu de notre table pendant toute la saison chaude…

« L’aiòli » est absolument exclu de notre table pendant toute la saison chaude…

Le magnifique ouvrage de Maurice Brun, qui fut le restaurateur le plus étonnant du Vieux-Port de Marseille, 1949 : « Groumandugi, Réflexions et souvenirs d’un gourmand provençal »

“L’aiòli est absolument exclu de notre table pendant toute la saison chaude, et dans la saison fraîche il est exclusivement mets de déjeuner, et généralement du vendredi. Le surcroît d’aliments carbonés qu’il apporte à notre organisme, et le travail digestif qu’il réclame, nous le rendent insupportable l’été, et pendant nos nuits si nous voulons le repos. Mais cette réserve faite, il est certain que notre “aiòli“ constitue à lui seul un repas complet, infiniment agréable, et qui est loin de manquer de caractère.


Malheureusement, le triomphant et incontestable succès, dans l’alimentation humaine, de l’ignoble huile d’arachide et de son mauvais goût,  a favorisé, et pour masquer ce goût, l’exagération de l’apport ail en notre sapide crème. L’esprit d’économie a, d’autre part, lui aussi, secondé cette exagération. Et il est devenu courant, presque normal qu’un “aiòli“ vous emporte la “gueule“ ; “l’oli“, même si elle est d’olive, est devenue accessoire, sinon dans la constitution, mais dans l’apport de sa tant agréable saveur, et là est grande erreur. Certes le goût violent de l’ail doit être prédominant, mais il ne faut tout de même pas que son excès nuise à la dégustation des délicats bouquets de notre huile tant “goustouso“, et  retrouver  dans notre crème alliacée  tous les parfums de nos crus oléicoles n’est pas un des moindres plaisirs que procure l’ingestion de ce mets, constitutif je le répète, à lui seul, d’un repas.

Ma tant gourmande mère  n’employait qu’une gousse pour six personnes, et j’ai croyance qu’une pour quatre doit être le maximum.

Quant à sa confection, il ne faut pas oublier d’abord, que toute mayonnaise ou rémoulade, et donc notre “aiòli“, sont émulsions, que le froid en gêne la constitution, et que donc toute huile gelée doit être légèrement réchauffée avant son emploi ; qu’il est d’autre part un élément indispensable à la composition de toute émulsion, que cet élément est l’eau,  l’acqua simplex,  et que si pour les rémoulades et mayonnaises le vinaigre ou le citron font apport de cette eau, il n’en est pas de même pour notre “aiòli“ qui n’a, de ce primitif liquide, que l ‘infime quantité contenue dans la gousse d’ail, dans le jaune d’œuf ; que donc il sera nécessaire d’adjoindre un peu d’eau, très peu d’eau, au cours de son “montage“, si l’on ne veut courir le risque de le “tomber“. Qu’enfin le mortier de marbre, le lourd mortier de marbre sera, par son poids qui lui donne stabilité, l’ustensile idéal à employer.

L’ail donc, finement pilé avec un peu de sel, et le jaune d’un œuf lui étant ensuite intimement incorporé, le suc vert doré de l’olive intervient  alors,  mais avec moult précautions et à tout petit filet, cependant que le pilon, de son mouvement giratoire et par son action de malaxage, crée la savoureuse liaison, l’onctueuse union.

Mais alors qu’avec l’apport de l’huile la consistance de la crème se manifeste, donnant par son aspect compact grande confiance en la réussite finale, augmentent et en proportion de cette consistance, les risques d’échec ; et plus “l’aiòli“ devient dur, et plus il est près de tourner de l’œil, de s’affaisser en piteuse marmelade. C’est pourquoi, alors qu’il est en pleine forme, semi-solide, un peu d’eau, très peu d’eau y sera incorporé, eau, qui, en éclaircissant nettement sa teinte, donnera à “l’aiòli“ naissant cette apparence crémeuse, qui le préservera de toute chute scabreuse. L’huile, alors, pourra être versée  avec moins de parcimonie, et même, au fur et à mesure que le volume de “l’aïoli“ sera plus important, y être ajoutée en quantité de plus en plus grande, sans toutefois, qu’à chaque adjonction, cette quantité n’excède le quart environ de la crème. Mais  ce nouvel apport d’huile, cet apport répété, va, à nouveau, durcir notre “aiòli“, le rendre, à nouveau, semi-solide ; à nouveau donc aussi interviendra alors l’eau, pour lui rendre consistance crémeuse qui le mettra efficacement et sûrement à l’abri d’un chute.

Je sais que beaucoup, que la plupart de nos Provençales, ignorent ce truc de l’eau. Mais aussi quelles appréhensions sont les leurs !  de quels soins, de quelle patience, de quelles précautions n’entourent-elles pas la confection de notre mayonnaise régionale, qui n’en demande pas tant ; quelles superstitieuses croyances président à son élaboration ! Trois personnes autour du mortier, et votre “aïoli“ est fichu ! Que le pilon, un instant, change de sens giratoire, et patatra, c’est la catastrophe !  Le regard d’un curieux, son souffle, et voilà notre crème en déliquescence ! Et quand la présence d’une femme ayant ses petits ennuis périodiques, c’est indubitablement l’échec, l’échec absolu, l’échec irrémédiable !!!…

Il est vrai que monter un “aiòli“ sans l’aide de l’eau n’est pas chose particulièrement aisée, et tient plus de l’acrobatie que de l’art culinaire. Il faut, en effet, que la crème soit toujours maintenue  très dure, donc instable, et l’huile versée au compte-gouttes, de façon que le pilon puisse mécaniquement crever les cellules dont le contenu pourra, alors, se lier au suc de l’olive ; et pour ce travail mécanique, le milieu solide, compact, est indispensable. Aussi, jugez du désappointement de la ménagère devant le passage subit, et inexplicable, d’un “aiòli“ ultra dur, à une molle marmelade.  Un peu d’eau, très peu d’eau pourtant aurait évité, et ces appréhensions, et ces risques, et ces désagréments ; cette eau aurait fondu la cellule, et aurait favorisé l’union.

D’ailleurs, en savonnerie, l’opération dite “liquidation“, n’a pas d’autre but : la confection d’une pâte lisse et homogène, ni d’autres moyens : l’adjonction d’eau douce.

Quant aux mets que généralement notre “aiòli“ accompagne, ils sont les escargots un poisson, et divers légumes bouillis.

Les escargots sont cuits en eau salée, avec fenouil, laurier, écorce d’orange, une pointe de piment. Ils auront, au préalable, été lavés plusieurs fois en eau vinaigrée et salée, et pour leur cuisson, mis en eau froide et à tout petit feu, afin qu’ils aient temps et goût de sortir de leur coquille, le sel et condiments étant ajoutés après leur mort.

Dans la Provence continentale, le poisson est toujours la morue. Trempée de la veille en eau froide, elle sera cuite simplement à l’eau qui, de froide, ne doit jamais arriver à dépasser les 80 degrés, et encore moins bouillir, et cela pour éviter de coaguler les albumines, ce qui rendrait la chair de ce poisson exotique, spongieuse.

Dans la Provence maritime c’est généralement le merlan ou la baudroie qui remplace la morue, et en Camargue, c’est l’anguille. Ces poissons sont pochés et cuits au court-bouillon environ vingt minutes, avec sel, oignons émincés, fenouil, laurier, et la baudroie et l’anguille, sont, bien entendu, écorchées avant cuisson.

Les poulpes aussi quelquefois tiennent lieu de poisson, et eux aussi seront écorchés. Vidés de leur noir, de leur sépia, de leur appareil masticateur, de leurs yeux, plongés en eau bouillante non salée, ils y cuiront une demi-heure, refroidiront dans leur bouillon et seront réchauffés avant de servir. La grande tendreté de leur chair, généralement ultra-dure, sera l’heureux résultat de ce mode de cuisson.

Quant aux légumes, en dehors des carottes qui doivent être cuites dans très peu d’eau légèrement sucrée (et ceci est capital pour le bon gout de cette racine) ils sont : les obligatoires pommes de terre en robe de chambre, et, suivant la saison : topinambours, choux fleurs ou de Bruxelles, artichauts, asperges, haricots verts, cuits séparément, eu eau salée, et servis chauds.

L’aiòli est un mets populaire, du vendredi ou vigile, quelquefois du dimanche, à la campagne, accompagné de chants, et sous la treille ; il est de digestion pénible, et prédispose considérablement au farniente.

Que ceux donc qui veulent s’en régaler complètement, abandonnent à l’avance, toute idée de travail immédiatement postérieur à son ingestion.

Pour l’accompagnement, un vin blanc, sec et glacé, s’impose, et un café final et corsé, est enfin absolument indispensable. »

Contre la grippe, Léon Daudet avait une recette infaillible

Contre la grippe, Léon Daudet avait une recette infaillible

Tout le monde parle en ce moment de la grippe. Surtout Roselyne. Et ça dure. Il faut revenir aux fondamentaux. Sans idolâtrer le célèbre Léon Daudet, il faut reconnaître qu’il avait une vision qui pourrait paraître décalée aujourd’hui…

2

« Manger sans tenir compte de la fièvre. Se coucher. Chaleur douce. Boule aux pieds. Lecture saine. Le matin au déjeuner : aïoli. Au diner : bouillabaisse légère. Vin : Châteauneuf-du-Pape. Un verre d’eau de Vichy à part. Second jour, au déjeuner : Bourride. Au diner : soupe à l’ail. Troisième jour, matin et soir, pot-au-feu, légumes à volonté. Abattis, Vin : Beaujolais ou Bourgueil ou Bordeaux sans eau. Le quatrième jour si vous n’êtes pas guéri, mangez à déjeuner hardiment une côtelette arrosé d’un petit Bordeaux rouge, et si vous êtes guéri mangez-en deux. Le soir, buvez votre bouteille de Champagne entière à la santé de Brillat-Savarin. Ne vous levez que le cinquième jour. Le lit, comme la table, est souverain contre la grippe… » (février 1926)