Le festin occitan

Le festin occitan

 

Texte sur l’aioli, extrait de l’ouvrage de Prosper Montagné, le Festin Occitan, Atelier du Gué, 1929, p.35-39

L’ail, avons-nous dit, est l’accent, la dominante, d’une foule de mets languedociens. C’est
surtout dans l’Ailloli que s’affirme sa souveraineté. A cet ailloli, un poète anonyme – un
Occitanien sûrement – a consacré un sonnet. Le voici:

Ailloli.

Dans ce monde frivole où les meilleures choses ont le pire destin et meurent dans l’oubli,
‘arome d’un baiser, le doux parfum des roses tout passe… on garde mieux l’odeur de

ailloli.

Pénétrante senteur, quel délire tu causes!
Tu fleures comme un baume, et l’air en est rempli, ton éloge exhalé même des bouches
closes nargue le vetyver, l’ambre et le patchouli.
Ce beurre de nectar qu’Hébé servait sans grimpe était tout simplement l’ailloli de
l’Olympe, il nourrissait les Dieux, il réveille les morts.
Comus, pour le créer, choisit trois blondes gousses mit force jus de coude et, des flots
huile douce,
Sorti ce mets ardent comme un cheval sans morts.
La recette incluse dans ce sonnet, bien que très poétique, est quelque peu imprécise.
Voici celle que donne pour cette exquise sauce provençale, et qui se fait aussi en
Languedoc, A Caillat qui, lui, écrit : « aïoli » et non « aïlloli », ainsi que le veut l’Académie.

Aïoli.

« Piler dans un mortier quatre ou cinq gousses d’ail, ajouter un jaune d’œuf et une
pincée de sel; verser ensuite, peu à peu, en tournant avec le pilon, un quart de litre
d’huile. A mesure que la pommade épaissit exprimer dedans le jus de citron et ajouter
quelques gouttes d’eau. »
Il arrive parfois que, durant cette opération, l’aïoli se décompose et « tombe », comme
on dit, il faut alors le sortir du mortier, remettre dans celui-ci un second jaune d’œuf et
lui incorporer peu à peu l’aïoli tourné: il doit être réussi et d’une épaisseur convenable. »
Il est une autre façon de faire l’ailloli. Nous l’indiquons pour la forme seulement, car
nous estimons que, seule est conforme au principe provençal, la recette de Caillat:

Ailloli.

« Mettez dans un mortier trois gousses d’ail épluchées; pilez-les jusqu’à ce qu’elles soient
réduites en pâte; Ajoutez-leur la moitié d’une pomme de terre cuite à l’eau et mise en
purée, ou gros comme une noix de mie de pain trempée dans du lait et exprimée ensuite.
Broyez pour bien homogénéiser la pâte, et ajoutez, mise petit à petit, de l’huile
d’olive, en triturant toujours.
Quand l’ailloli a l’apparence d’une sauce mayonnaise bien mousseuse, ajoutez
une cuillerée à bouche d’eau froide, le sel nécessaire, une prise de poivre blanc et un filet
de jus de citron. »

En Provence, et aussi en Languedoc, l’ailloli (dit aussi « aïoli » et encore « ayoli ») n’est pas
seulement une simple sauce, une simple émulsion d’huile et d’ail analogue à la
mayonnaise et que l’on sert avec un mets quelconque.
L’ailloli est un plat complet, composé d’un unique ou de plusieurs éléments, dont la
sauce susdite est l’accompagnement obligatoire.
On sert cette sauce soit avec des poissons bouillis tels que maquercaux fiélas,
sardines, morue, etc.., soit avec des escargots de vigne; soit avec des légumes divers
cuits à l’eau: gros haricots verts, choux-fleurs, carottes, pommes de terre nouvelles, etc.
On sert aussi l’ailloli avec la Bourride, variété de bouillabaisse très prisée dans la
région Marseillaise – ce qui nous éloigne un peu du Languedoc – soupe dont, d’après le
poète Méry, l’invention est due à Thestyllis, la cuisinière de l’auteur de l’Enéide (mais les
poètes se permettent toutes les licences !) et qu’un autre poète provençal, Toussaint
Gros a ainsi chantée:
« Horace, se l’avies tastado,
Ben luen de l’abe blastemado
L’auries douna toun amitié
Auries miés estima ta testo courounado
d’un rez d’ayet que de lauzié…
ce qu’en français il aut ainsi traduire:
« Horace, si tu l’avais goûtée,
bien loin de l’avoir blâmée,
tu lui aurais donné ton amitié,
tu aurais mieux aimée ta tête couronnée
d’une chaîne d’ail que de laurier…
(La Bourrido dei Dieoux)

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