L’ail, tout savoir… ou presque !
Extrait du « Livre des épices, des condiments et des aromates » par Louis Lagriffe, Robert Morel éditeur, 1968
« Avec le chou, le poireau et la pomme de terre, l’ail est un de nos plus populaires légumes, mais c’est aussi le patriarche des oignons, échalotes, ciboules, ciboulettes, rocamboles, tous de la grande famille des “allium”.
CARACTERISTIQUES
L’ail, de la famille des liliacées, est caractérisé par ses bulbes, appelés vulgairement « têtes d’ail » et formés de caïeux ou gousses d’ail, comprimés sur les côtés et renfermés dans une tunique commune, mince, blanche ou rose pâle ; les feuilles sont planes, longues et étroites ; la plante ne fleurit pour ainsi dire pas dans nos régions et se reproduit à l’aide des caïeux.
L’odeur caractéristique exhalée par les gousses est due à une huile essentielle volatile formée presque entièrement par du sulfure d’allyle.
On en cultive plusieurs variétés :
– l’ail commun, à gousses de couleur blanc argenté ;
– l’ail rose hâtif, plus précoce, à gousses de couleur rose ;
– l’ail rouge, aux caïeux gros, courts et rouges vineux.
Le nom latin d’allium est dérivé de « alle” qui signifie chaud, dans la langue des populations celtes qui appelaient assez dédaigneusement les Latins « des mangeurs d’ail « .
Chaque civilisation semble d’ailleurs s’être ingéniée à donner à l’ail une appellation particulière.
Pour les Hébreux, l’ail était le “sum”, onomatopée désignant une odeur fâcheuse. Les Grecs reprirent l’idée de ce désagrément bien particulier en lui conférant le nom de « skorodon” ou rose puante.
Les Latins lui ont heureusement conservé la racine celte en lui conférant le nom primitif d’allum, devenu allium par la suite et maintenu par les botanistes qui lui ont ajouté, suivant les espèces, des épithètes plus ou moins barbares : allium sativum, pour désigner l’ail commun ; allium ursinum ou ail des ours ; allium ampeloprasum ou ail d’Orient.
Le langage populaire a ouvert largement ses portes à l’ail qui est tour à tour le chapon, la perdrix, la rocambole, le faux nard, l’herbe aux sept chemises, l’herbe aux neuf vertus, suivant les variétés et surtout ses propriétés.
Originaire des steppes de l’Asie centrale et probablement apporté par les hordes mongoles, l’ail est connu depuis la plus haute antiquité avant de se répandre autour du bassin de la Méditerranée où il a été rapidement utilisé et apprécié.
HISTOIRE
La première mention de l’ail est fort ancienne, 450 ans avant Jésus-Christ, Hérodote précise dans son Histoire qu’une inscription était gravée sur la pyramide de Ghizeh, rappelant que, chaque matin, une gousse d’ail était distribuée à chaque ouvrier travaillant à son édification afin de lui donner des forces.
A la suite des Egyptiens, les Hébreux continuèrent à lui reconnaître de merveilleuses propriétés sans se laisser rebuter par son odeur désagréable. Ils s’y étaient tellement habitués pendant les jours de servitude en Egypte qu’ils le regrettèrent fortement lorsque, dans le désert, ils n’eurent plus que la manne pour toute nourriture (NOMBRES Xl. 5).
Lorsqu’ils s’installèrent en Palestine, ils s’empressèrent de cultiver un légume aussi précieux et la Bible nous apprend que Booz en donnait, avec du vinaigre, à ses moissonneurs, à la fois pour les fortifier et pour combattre les épidémies.
Selon le Talmud, l’ail offrait 5 propriétés majeures :
il rassasie,
échauffe le corps
rend le sperme plus abondant
tue les parasites intestinaux
protège contre la peste.
Les Grecs furent, eux aussi, de grands amateurs d’ail. Homère nous parle du “moly”, la plante à racine noire et à fleur blanche comme le lait, qui avait le pouvoir de faire obstacle aux enchantements, ce dont Ulysse ne manqua pas de se servir contre Circé l’ensorceleuse.
Aristophane ne tarit pas d’éloges sur ces vertus fortifiantes et dans plusieurs de ses œuvres, les Arcaniens et la Paix notamment, nous rappelle que les guerriers “en mangeaient pour avoir plus de forces dans les combats ».
Et pourtant, déjà, son odeur pénétrante n’était pas appréciée de tous. Les prêtres de Cybèle se virent obligés de refuser l’entrée de leur temple aux dévots qui apportaient avec eux l’odeur forte de l’ail.
Par contre, médecins et botanistes grecs s’accordaient pour en reconnaître les nombreuses vertus. Théophraste, le père de la botanique, en cultivait dans son jardinet. Hippocrate, dans son traité « des femmes stériles”, lui confère les propriétés les plus diverses : apéritives, stimulantes, diurétiques et surtout emménagogues.
« Pour savoir si une femme est apte à concevoir, il suffit de lui appliquer une gousse d’ail en pessaire et, le lendemain, si son haleine sent l’ail, elle pourra concevoir, sinon, elle restera stérile”.
Les médecins de Rome leur emboîtèrent le pas et n’hésitèrent pas à attribuer à l’ail toutes les vertus
Celse l’utilisait dans les maladies de langueur. Dioscoride, le premier, remarqua ses propriétés vermifuges et s’accorda avec Pline pour lui reconnaître des propriétés très efficaces contre l’asthme, la jaunisse, les hémorroïdes et les maux de dents.
Peu de maux lui résistaient et un poète du Bas-Empire le trouve d’une efficacité remarquable pour calmer la toux à condition de le faire bouillir et de le mélanger à du miel.
Le grand Galien n’hésite pas à l’appeler la « thériaque des paysans” après avoir vu des paysans guéris de coliques, de maux d’yeux et d’éruptions cutanées par la simple ingestion de gousses d’ail.
Malgré ces vertus reconnues, de nombreux Romains ne pouvaient s’habituer à l’haleine puante que donnait l’absorption d’ail et le précieux légume était, à cause de cela, souvent banni des cuisines patriciennes.
Horace, notamment, en était un ennemi acharné et ne manquait aucune occasion de lancer contre le précieux bulbe de virulents anathèmes :
« Si quelque jour un fils étranglait son vieux père, c’est par l’ail qu’il devrait périr,
La ciguë est bien moins meurtrière.”
La raison en était d’ailleurs toute personnelle, car ce pauvre Horace fut victime de la part de Mécène d’une aventure qui, à cause de l’ail, l’éloigna à tout jamais de Lydie sa maîtresse. Mécène, pourtant son ami, était jaloux de leurs relations intimes et trouva dans l’ail un moyen original de troubler les tendres rapports du poète et de la courtisane.
Un jour de l’année 719 de Rome, il convia l’auteur de l’Art poétique à un repas où tous les mets étaient assaisonnés d’une forte dose d’ail dont il savait que Lydie ne pouvait supporter l’odeur. Le repas terminé, Horace accourt chez sa maîtresse. Mais il comptait sans l’odeur fatale :
Lydie, indignée, fut impitoyable et le repoussa.
Plus tard, Sidoine Apollinaire s’écriait, en parlant de l’ail : “Heureux le nez qui n’est point exposé à se sentir empoisonné par cette plante” et traitait les Burgondes de barbares parce qu’ils ne cessaient de s’en régaler.
Mais l’aversion des uns n’était pas partagée par tous. L’ail, pour ses vertus fortifiantes, était très apprécié des soldats romains à tel point qu’il fut bientôt considéré comme le symbole de la vie militaire.
Il entrait, d’ailleurs, dans la préparation de nombreux plats populaires, tel ce “moretum” composé d’ail saupoudré de sel, de rue, d’ache, de coriandre, !e tout baignant dans l’huile et le vinaigre.
Après les Romains, les Byzantins qui ont transmis à la médecine populaire tant de propriétés des plantes médicinales trouvèrent dans l’ail de nombreuses vertus mentionnées par Aetius d’Amide et Nicolas le Myrepse.
Malaxé avec de la graisse d’oie et du coriandre, l’ail vient à bout des ulcères qui viennent à la tète. Bouilli avec de l’huile d’olive, il arrête les maux d’oreilles, fait disparaître les dartres et les taches des yeux. Mais il n’est pas sans danger car “il obscurcit la vue si on l’aspire, nuit à l’estomac et provoque la soif”.
Les Arabes considéraient l’ail comme un antidote remarquable contre les venins et la rage. Mahomet, lui-même, recommande d’appliquer son bulbe contre piqûres de scorpion et morsures de vipères.
Propriétés que ne manque pas de reprendre l’Ecole de Salerne qui lui confère, en outre, des vertus propres à radoucir la voix, utiles dans les affections de l’œil et également toniques contre les maladies de poitrine :
« clarificant rauxam, cruda coctaque. vocem sinapis oculi. pectoribus allia prosunt. » (cuit, cru, de la voix rauque il adoucit l’usage et l’ail pour la poitrine est un tonique heureux.)
Malgré les anathèmes et les proscriptions, notamment celles d’un roi de Castille qui, au milieu du 14e, fonda un Ordre de Chevalerie dans les statuts duquel il se crut obligé à la demande de son épouse, de spécifier que les membres de cet ordre ne mangeraient ni ail, ni oignon sous peine d’être exclus de la cour, l’ail finit par être considéré comme une panacée souveraine contre tous les maux, surtout après l’emploi qu’en firent les médecins de la Renaissance, Paracelse et Ambroise Paré en particulier, dans le traitement de la peste.
Pour le premier, l’ail était un préservatif Indiscutable contre la redoutable épidémie : « Allium pestis medicina, allum peste non inficitur”,
et le second recommande, toujours contre la peste, de faire de l’ail la base de petits déjeuners bien originaux :
“Les rustiques et gens de travail, disait-il dans son » Traité de la peste et de la petite vérole « , pourront manger quelques gousses d’aulx avec du pain, et du beurre et du bon vin s’ils en peuvent fournir, afin de charmer la brouée puis s’en iront à leur œuvre en laquelle Dieu les aura appelés”.
Conseil bientôt repris par Bunel, docteur régent de l’Université de Toulouse, dans son “Œuvre excellente à chascun désirant de soi de peste préserver” :
“Encor, pour évlctér ces maux
Porras prendre une tostée
Bien frottée avec des aulx
Et la manger la matinée
Et puis va faire ta journée
Et ne ta chaille du dangier
A bon conseil se fault rengier. »
Il eût été bien surprenant que Rabelais n’eût pas ajoute son mot à ces doctes conseils et, en bon gastronome qu’il était, n’eut pas continué à vanter les bienfaits de l’ail.
Sans tenir compte de “la puante aleine qui estoit venue de l’estomac du bon Pantagruel”, alors qu’il mangeait tant d’aillade, il vante les “tribars”, sorte de ragoût de tripes à l’ail qu’on servit à l’occasion du mariage du roi des Amaurotes.
A cette époque, il y avait surtout l’aillade, l’aillousse, qui faisait les délices de tous, ainsi que nous le rapportent les “Cris de Paris“ :
« Verjus de grains à faire aillie
Oiseaux, pigeons et chars sallées
Et de l’ailliea griant planté”.
L’ail était un mets de tous les pays, on en mettait sur le pain et en Angleterre il y avait des marchands spéciaux ce qui permettait à Shakespeare de dire :
« Il voudrait bien se décoter avec une mendiante malgré sa bonne odeur de pain noir.“
La Fontaine en parle, lui-aussi, dans le “Conte du Paysan“ :
“Il vous faudra choisir après cela de cent écus ou de la bastonnade pour suppléer au défaut de l’aillade. »
L’aillade était préparée de différentes façons : il y avait celle des pauvres, faite d’ail pilé, de lait et de fromage mou qu’ils employaient pour assaisonner la viande bouillie ou rôtie, et celle des riches composée d’ail, d’amandes, de lait et de mie de pain, le tout pilé ensemble et trempé dans un peu de lait ou de bouillon.
THERAPEUTIOUE
Après ces maîtres de l’antiquité et ceux de la Renaissance, les médecins des siècles suivants n’eurent plus, en raison de tant de vertus attribuées à l’ail, qu’à les copier docilement. Cependant, ils en ajoutèrent d’autres, tirées pour la plupart de l’empirisme des paysans, tellement l’ail est resté populaire et d’un emploi constant dans les campagnes.
Comment pourrait-il en être autrement depuis qu’Henri d’Albret, grand-père du plus populaire de nos rois, se fit donner une gousse d’ail « dont il luy frotta ses lèvres, lesquelles il se frippa l’une contre l’autre comme pour sucer”, afin de lui procurer force et vigueur et le prémunir contre toutes les maladies.
Avec de telles lettres de noblesse, le paysan de France ne pouvait oublier ni le bon roi Henri ni son ail. C’est pourquoi, dans presque la moitié de nos vieilles provinces, l’ail agrémenté pour la circonstance de quelques autres légumes et de plantes aromatiques sert de base à un aliment remède des plus populaires : la fameuse soupe à l’ail administrée à tous les enfants pour le plus grand profit de leur santé.
Avant tout, c’est surtout comme vermifuge que l’ail leur est donné. A cet effet, deux ou trois gousses sont hachées avec quelques brins de persil et mises dans l’huile d’olive. Le tout est étendu sur une tartine de pain pour faire !e fameux « chapon » apprécié de tous, petits et grands.
Parfois on lui préfère, pour les enfants, le sirop confectionné à raison de 100 g d’ail pour 200 g d’eau et 100 g de sucre.
Les paysans savent aussi profiter des propriétés stomachiques de l’ail pour faciliter les digestions ; ils en font souvent un véritable tonique aussi bon que le quinquina tandis que dans les affections pulmonaires, ils l’utilisent pour faciliter les expectorations et diminuer, voire calmer, aussi bien les quintes de toux chez l’enfant que les crises d’asthme chez l’adulte.
A l’extérieur, il est également mis à heureuse contribution en pansements contre les plaies, les ulcères variqueux et les piqûres de guêpes qui sont souvent soulagées par le simple frottement d’une ou deux gousses sur la partie malade ou envenimée.
Et fatalement, il est arrivé que l’empirisme donne naissance à un emploi plus scientifique et rationnel de la petite gousse et de ses caïeux. Tout récemment, les travaux de Lœper et de Ripperger ont attiré l’attention du Corps Médical sur ses propriétés hypotensives, en teinture alcoolique, à raison de 20 à 30 gouttes auxquelles on ajoute quelques gouttes d’anis pour en rendre l’absorption plus agréable.
Aujourd’hui, l’ail est considéré comme :
– antiseptique, vermifuge, hypotenseur, carminatif, diurétique et spasmolytique.
Il est employé comme prophylactique des maladies contagieuses, les pneumopathies, les parasites intestinaux, l’hypertension artérielle, la coqueluche…
On l’emploie sous forme d’alcoolature il raison de 20 à 30 gouttes 2 fois par jour :
– de sirop, une partie d’ail pour deux d’eau additionnée de sucre,
– de vin vermifuge : 20 à 30 g par litre plus autant de feuilles d’absinthe.
– de liniment obtenu par 2 gousses écrasées dans 2 à 3 cuillerées d’huile ou de saindoux,
– de suc, de décoction…
Parallèlement à la médecine officielle, guérisseurs et empiriques continuaient à trouver dans l’ail une source de bienfaits, en lui donnant des modes d’emploi bien particuliers.
En période d’épidémie, rien de tel que des sachets ou des colliers suspendus au cou des enfants. Contre les vers un cataplasme d’ail pilé et mis sur le nombril est remarquable. Contre les maux de dents, de l’ail râpé mélangé à des fleurs de mauve mis dans la dent cariée les suppriment à coup sûr. Pour se débarrasser d’un orgelet, il suffit de se frotter la paupière avec une gousse d’ail coupée en deux. Contre les cors au pied, les durillons ou les verrues, il suffit d’appliquer une gousse d’ail cuite au four pour enlever toute gêne et toute douleur.
N’oublions pas, pour être complet, que les propriétés antiseptiques et bactéricides, dues à son essence, ont été largement utilisées, à toutes les époques, pour combattre les épidémies de toute nature d’où son emploi dans le “Vinaigre des 4 Voleurs“. Et constatons, non sans une certaine crédulité, qu’en Chine, pays où l’ail est consommé en grande quantité, le cancer est très rare.
Ce n’est certainement pas sans raison qu’une variété d’ail, le “radix victorialis longa » était considéré comme une racine magique qui garantissait la victoire et la vie sauve aux soldats qui le portaient d’où son nom de “victoriale“ tandis qu’à l’opposé, les “tires au flanc” savaient l’utiliser, sous forme de suppositoire, pour se donner de la fièvre sachant bien que le major n’irait pas renifler dans la partie intime de leur individu, l’odeur désagréable de l’ail et trouver la cause de leur malaise.
D’ailleurs, les moyens sont nombreux pour masquer cette fameuse odeur. Depuis Dioscoride qui prônait les blettes, les fèves crues ou la rue, d’autres préféraient mâcher une pomme râpée en même temps que des feuilles de cerfeuil ou, mieux encore, absorber quelques gouttes d’essence d’angélique. Mais le plus plaisant traitement, sinon le plus efficace pour faire disparaître cette odeur parfois trop forte, c’est celui préconisé par Thomas Morus qu’il est difficile, pour la convenance, d’exprimer autrement que dans la langue de Virgile:
“Denuo foetorem si vis depellers coepae
Eoc facile efficient allia mansa tibi :
Spiritus at si post etiam gravis allia restat
Aut nihil aut tantum tollere merda (sic) potest.“
Reste à savoir si ce brave Thomas Morus employait lui-même le procédé qu’il préconisait avec tant de réalisme. Panacée universelle, véritable source de jouvence, il est des bonnes femmes de campagne qui y voient le secret de la santé et se contentent de recommander de croquer une gousse d’ail, chaque matin à jeun.
GASTRONOMIE
Aussi ne faut-il pas s’étonner si l’ail jouit auprès des gastronomes d’un prestige inégalé. Les inconvénients de son odeur ne sont que mineurs à côté de la satisfaction qu’éprouvent les gourmets à se régaler d’une brandade de morue, d’un plat de cèpes à la Bordelaise, d’un tendre gigot farci à l’ail, de l’aïoli ou même d’une simple salade bien fournie de chapons.
Mis dans le pot au feu, l’ail augmente la saveur du bœuf bouilli; piqué dans la “souris », il communique au gigot un goût agréable; souvent après avoir fait blanchir des gousses d’ail, on les cuit à la lèche-frite afin de recevoir le jus qui coule d’un rôti ; puis en dressant la viande, on la recouvre de la sauce ainsi obtenue et que l’on sert à pleines cuillerées.
Quant aux salades, certaines, notamment la chicorée, seraient bien fades si on n’avait pas pris la précaution de frotter le saladier avec de l’ail que l’on écrase ensuite sur des croûtes de pain.
Voici une recette qui plaira aux gastronomes d’âges mûr, désireux de prolonger leur vie et leur jeunesse avec son cortège d’agréables illusions, recette tirée d’un traité de cuisine de 18e et pratiquée par nos grands-pères qui étaient de fins connaisseurs :
”Purée d’ail aux truffes : les gousses d’ail étant épluchées, les blanchir dans une grande quantité d’eau puis changer l’eau pour les faire cuire. D’autre part, faire cuire selon les règles de l’art une quantité égale de truffes du Périgord. Passer au tamis l’ail et les truffes, mélanger les deux purées ainsi obtenues. Assaisonner avec du beurre, ajouter sel et poivre de Cayenne et un peu de sauce Béchamel.”
La sauce ainsi obtenue accompagne parfaitement le gibier ou le poisson et convient particulièrement à toutes les personnes affaiblies qui ont besoin de récupérer toute leur vigueur tant morale que physique qu’ils pouvaient croire à jamais perdue.
Pour terminer cette étude médico-gastronomique, qu’il nous soit permis d’y ajouter un brin de poésie et de citer un sonnet, vantant les bienfaits du chef-d’œuvre de toutes les préparations culinaires à base d’ail ; l’inégalable ailloli provençal :
“Dans ce monde frivole où les meilleures choses
Ont le pire destin et meurent dans l’oubli
L’arôme d’un baiser, le doux parfum des roses
Tout passe… on garde mieux l’odeur de l’ailloli.
Pénétrante senteur, quel délire tu causes
Fleurs comme baume, et l’air en est rempli
Ton éloge exhalé mêmes des bouches closes
Nargue le vetyvier, l’ambre et le pateouli.
Ce beurre de nectar, qu’Hébé servait sans guimpe,
Etait tout simplement l’ailloli de l’Olympe
Il nourrissait les Dieux ; il réveille les morts.
Comus, pour le créer, choisit trois blondes gousses
Mit force jus de coude et, des flots d’huile douce
Sortit ce mets ardent comme un cheval sans mors.”
L’ail, la thériaque du pauvre, le plus vulgaire des condiments, est cependant la plante aromatique dont les effluves ont le plus inspiré les poètes. Depuis Aristophane, Horace, Busnel, la Fontaine et autres, jusqu’à Méry qui, en bon Marseillais, lui a rendu le plus beau des hommages dans sa célèbre “Ode à l’ail” :
« Tout ce qui porte un nom dans les livres antiques
Depuis David, ce roi qui faisait des cantiques
Jusqu’à Napoléon, empereur du Midi,
Tout a dévoré l’ail, cette plante magique
Qui met la flamme au cœur du héros léthargique
Quand le froid le tient engourdi.”